A l'instar de la Mani re de visiter les jardins de Versailles (seul ouvrage qu' crivit jamais Louis XIV), Je vois des jardins partout est une sorte de mani re de visiter les jardins de ma vie. Ceux que j'ai poss d s, et ceux des autres, publics ou priv s, que j'ai arpent s. En me penchant sur tous ces jardins, c'est aussi sur mon pass que je me penche, et si je vois des jardins partout, c'est que les jardins ont t , quantitativement et qualitativement, le paysage le plus r current et le plus constant de mon existence. En ce sens, ce livre est peut- tre une autobiographie d guis e... C zanne disait que peindre signifie penser avec son pinceau . Jardiner, c'est penser avec un s cateur, des semelles gadouilleuses, un mal de dos et des engelures aux doigts. Ou un coup de soleil sur le nez. Oui, jardiner, c'est penser, mais penser par avance, imaginer, anticiper ce qui va sortir de terre - et dans quel d sordre ou quelle harmonie inn s a va surgir. Et c'est avant tout faire confiance la terre. En crivant ce livre, je me suis aper u qu'il n'y avait pas d' cole de vie plus s re ni plus charmante qu'un jardin, que ce soit le paradisiaque et g nial Jardin Blanc con u par Vita Sackville-West dans son domaine de Sissinghurst ou le tr s modeste recoin qu'on m'avait allou dans le potager familial pour y faire pousser ce que je voulais - j'avais opt pour quelques pis de bl , dont j'avais tir quelques grammes de farine, dont je fis un pain minuscule mais tellement d lectable que j'en ai encore le go t en bouche. L'admirable Epicure, qui affirmait que le plaisir est le souverain bien (comme je suis d'acord avec lui ), avait install son cole philosophique dans un jardin o il passa son existence. Vingt-trois si cles apr s la mort du philosophe grec, les jardins continuent de nous enseigner l'essentiel de la vie: on y apprend la patience, l'humilit toujours, la d ception quelquefois, le silence, l'harmonie, les parfums et les saveurs, la beaut , on peut y faire l'exp rience de la mort (je l'ai crois e dans un jardin anglais sous la pluie) - et de l'amour, bien s r, car qui n'a pas fait l'amour dans un jardin au printemps ne sait pas encore tout de l'amour... J'ai essay de concevoir ce livre pour qu'il soit lu comme on visite un jardin: sans trop de logique, donc, sans que son parcours soit guind ni rigide, ni surtout p dant - mais une simple d ambulation parmi des souvenirs jardiniers qui m'ont enchant et parfois boulevers . Didier Decoin