Nous avons fait ce que nous avons pu pour construire une cité clandestine, la cité clandestine de l’honneur puisque toutes les élites françaises ou presque avaient démissionné. Et alors, lorsque nous retrouvons dans vos études, chers jeunes chercheurs, notre cité, elle nous apparaît un peu glacée. Il ne faut pas craindre, et excusez-moi si je parais encore grandiloquent, mais je dis qu’il ne faut pas craindre de tremper vos plumes dans le sang, car derrière chacun des sigles que vous explicitez avec beaucoup de connaissances livresques, il y a des camarades qui sont morts ; et, en réalité, ce n’était pas ce bel édifice que vous pouvez croire, c’était une faible toile d’araignée et nous, Pénélope infatigable, nous avons passé notre temps en circulant à bicyclette ou comme nous pouvions, à réparer cette toile d’araignée, à la rapetasser, à renouer les fils, à remettre des hommes là où ils étaient tombés. Alors, que nous ayons eu encore le temps, peut-être que nous avions une vitalité assez remarquable, que nous ayons eu encore le temps de nous opposer, de nous déchirer même quelquefois, cela prouve que nous étions jeunes et que les affrontements correspondaient à quelque chose. J’ai essayé de dire l’autre jour à quoi ils correspondaient de profond : la vraie Histoire, c’est l’histoire de cette toile d’araignée de la cité clandestine de l’honneur.
Pascal Copeau, La Libération de la France, Actes du colloque international tenu à Paris du 28 au 31 octobre 1974, Paris, CNRS, 1976, p. 952.