Martin Mongin

Roman étonnant, perturbant.... En une dizaine de chapitres, nous tentons de comprendre qui est ce Francis Rissin, qui à la fin du texte demeure tout aussi énigmatique. La construction du roman est très originale. Chaque chapitre étant un extrait d'un texte de roman, d'un reportage, d'un dossier de police, d'une conférence, d'un rapport d'enquête. A chaque fin de chapitre on pense avoir compris de quoi il s'agit et tout notre montage se retrouve ébranlé et remis en cause au chapitre suivant. L'enchaînement des chapitres captive, on veut comprendre savoir pour finir sur une interrogation (réflexion) de la puissance de l'imagination par la littérature, la capacité d'un roman à nous transporter et douter à chaque ligne. Parrallèlement le texte est sous-tendu d'une petite musique sociale et politique qui ne fait écho à une situation actuelle, caractérisé par la crise des gilets jaunes, la monté des extrêmes et de remise en cause des élites, de la démocratie, du recours à un sauveur ultime,....

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Tout travail de recherche biographique, et plus généralement toute investigation de nature historique, en tant qu'elle est tournée vers le passé, se heurte à une difficulté constitutive presque insurmontable. Quand on connaît à l'avance la suite des évènements, quand on sait déjà qu'elles seront les conséquences d'un fait, on peut difficilement s'empêcher, rétrospectivement de regarder l'enchaînement des causes et des effets qui mènent jusqu'à lui sous le jour de la nécessité. Alors le moindre détail, le moindre le geste, le moindre mot, devient gros de tout ce qui va advenir ensuite, comme si le futur imprégnait déjà la substance des phénomènes, comme si on pouvait le lire à l'avance, comme s'il était déjà présent en quelque sorte.
Or le biographe et l'historien ne doivent pas céder à la tentation de devenir sinon des devins ou des voyants, du moins des visionnaires. S'ils connaissent le fin mot de l'histoire, s'ils connaissent le lieu et l'heure du crime, ainsi que le nom de l'assassin, ils doivent faire comme s'ils l'ignoraient, ils doivent se couler dans le présent de leur objet d'étude, c'est à dire faire comme si le temps qui les séparait de lui ne s'était pas encore écoulé. Mais c'est une exigence à laquelle il est bien difficile de se tenir. Parce que, une fois qu'on a parcouru la dernière page du livre, comment se la sortir de la mémoire, et comment lire une deuxième fois le roman en faisant abstraction de sa chute ? Quand on connaît le fin mot de l'histoire, on a l'impression de la voir écrit partout en lettres capitales, dès les premières lignes du premier chapitre. Et lorsqu'on connaît le nom de l'assassin, tout semble déjà plaider contre lui, longtemps avant qu'il ait commis son premier crime.
D'autant que le fameux "effet papillon" vaut pour les affaires humaines comme pour les choses du monde naturel, et l'Histoire nous montre à sa façon que des évènements minuscules peuvent aussi avoir des conséquences et des répercussions à grande échelle. Mais aussi longtemps que le présent dure, aussi longtemps que les minutes s'étirent, aussi longtemps que nous sommes pris dans la matière du temps qui passe, impossible de savoir si une cause donnée aura des effets infimes ou immenses, impossible de savoir si elle empruntera une voie de garage ou si elle décidera de l'avenir de l'humannité. (...)
Mais celui qui a le privilège de connaître la fin du film, celui qui a le privilège de pouvoir poser sur le temps le refard de SIrius, celui qui connaît déjà le partage entre les causes fécondes et les causes stériles ne risque-t-il pas, irrépressiblement, de céder à la tentation de procéder à une réécriture orientée du déroulement des choses ? Ne risque-t-il pas de donner une importance excessive à certains évènements pourtant négligeables à priori, comme s'ils contenaient tout le futur en germe ?
(p293 - 294)

Je crois que la folie à a voir avec l'impossibilité de parler à quelqu'un d'autre, l'impossibilité de partager ce qu'on a vu, ce qu'on a entendu, ce qu'on a compris. La folie a quelque chose à voir avec la solitude et le silence. (...) La folie c'est la nécessité impérieuse de parler, et l'impossibilité de le faire.
(p452)… (meer)