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> LE CHRIST COSMIQUE, de Matthew Fox (Ed. Albin-Michel). — Voilà un livre important, écrit par un des chefs de file des nouveaux courants spirituels chrétiens. Par ailleurs, il est sans doute « visionnaire », ou « prémonitoire » (du moins en partie), de la mystique du XXIe siècle. Mais il se démarque néanmoins du New Age, qui voit plutôt le Christ comme une sorte de principe universel. Mattew Fox tente de reprendre la thématique du New Age (relation au cosmos, au corps, aux autres religions) en la réinsérant dans une perspective chrétienne, en y ajoutant aussi une dimension théologique et politique. Ce qui implique de réinterpréter la tradition chrétienne, d'en réviser de fond en comble certains éléments dominants depuis des siècles (sexisme, occidentalo-centrisme, autoritarisme, péché originel…) mais que l'auteur considère comme étrangers à l'esprit évangélique. Mattew Fox est né en 1940 (comme Drewermann), dans le Wisconsin. Il entre très jeune chez les dominicains et est ordonné prêtre en 1967, au moment où éclate le mouvement contre la guerre au Vietnam. Enfant du bouillon de culture de cette époque, il est attiré par la mystique chrétienne, et Thomas Merton l'envoie à Paris étudier à l'Institut catholique auprès du Père Chenu. Ce dominicain lui apprend à lier quête spirituelle et action sociale. Revenu aux U.S.A., Fox, à la fois exégète érudit et prophète contestataire, devient vite leader d'une sorte de « théologie de la libération » appliquée aux pays occidentaux, féministe, écologiste, tiers-mondiste, antiautoritaire. Ses livres (une dizaine) jugés trop proches du New Age par ses supérieurs, connaissent un immense succès aux U.S.A. et dans plusieurs pays d'Europe. En 1988, le Vatican le condamne à un an de silence. Puis, lorsqu'il refuse de regagner sa province de Chicago, il est expulsé de l'ordre. Voulant demeurer prêtre de l'Evangile de Jésus-Chnst (comme Drewermann), jl entre alors chez les épiscopaliens (l'Eglise anglicane américaine), et crée l'Institute of Culture and Creation Spirituality, un mouvement qui travaille à la recherche de nouveaux rituels, à l'exploration mystique chrétienne, et à la lutte pour la justice sociale dans le monde.
Mattew Fox avait déjà posé les bases de sa « théorie » dans un ouvrage précédent. Il écrit : « Dans mon livre « La Grâce originelle » je tente de définir en quoi doit consister ce changement de paradigme religieux. Pour résumer, expliquer qu'il s'agit de passer de l'idée de péché originel à celle de grâce originelle. Sur le plan de l'histoire de la spiritualité, cette révolution paradigmatique se traduit par un abandon des trois étapes classiques de la mystique - purification, illumination et union - héritées de Proclus et de Plotin (héritage non judeo-chrétien d'ailleurs, puisque ni l'un ni l'autre n'était Juif ou chrétien) au profit des quatre voies qui sont la délectation (via positiva), le lâcher-prise (via negativa), la créativité (via creativa) et la compassion, c'est-à-dire la justice et la célébration (via transformativa). » Mais qui est donc le Christ cosmique, sujet du présent livre ? « Une théologie du Christ cosmique doit s'appuyer sur le Jésus historique, sur ses paroles, ses actes de libération, sur sa vie, et enfin sur son orthopraxis *. Le Christ cosmique n'est pas une doctrine à laquelle on adhère ou que l'on met en pratique aux dépens du Jésus historique. Non, une dialectique doit présider aux rapports entre le temps (Jésus) et l'espace (Christ), entre le personnel et le cosmique, entre le phrophétique et le mystique. Ce dialogue ressemble à une danse, mais il doit s'échanger loin de tout anthropocentrisme. »
Mattew Fox s'appuie souvent sur la Mystique médiévale pour tenter de jeter les bases d'un christianisme « post-an 2000 ». Maître Eckhart et Hildegarde de Bingen l'inspirent beaucoup, par contre, il a une grosse dent contre Saint-Augustin et Newton ! Il va aussi beaucoup puiser aux sources bibliques, dans les écrits sapientiaux, prophétiques, apocalyptiques… Puis, dans le Nouveau Testament. « Le Christ cosmique est au coeur des histoires entourant Jésus historique. » Dans les Évangiles, d'après lui, le Christ cosmique transparaît souvent, dans l'enfance, le baptême, la transfiguration, la crucifixion et la résurrection, ainsi bien sûr que dans l'ascension et la pentecôte.
« Chaque fois que l'on voit apparaître les termes ange, Seigneur (= maître de l'Univers), nuée, gloire, déserts sauvages et montagnes, mal, penser Christ cosmique ».
Le Christ cosmique est :
- Créateur d'une présence pleine et entière d'esprit.
- Structure qui relie tout.
- Facteur universel de cohésion.
- Un enfant qui désire venir au monde.
- Le maître du temps et de l'espace.
- Le lien entre microcosme et macrocosme.
L'avènement du Christ cosmique ne se fera pas sans un changement de paradigme, mais il nous donnera la force necessaire à ce changement. Cette révolution consistera à passer :
- De l'ancien paradigme au nouveau paradigme.
- De l'anthropocentrisme à une conscience cosmologique.
- De Newton à Einstein.
- D'une mentalité fragmentalisante au sentiment de totalité.
- Du rationalisme au mysticisme.
- De l'obéissance comme vertu première à la créativité comme vertu première.
- Du souci du salut personnel à la guérison commune, au salut par la compassion.
- Du théisme (Dieu en dehors de nous) au panenthéisme (Dieu en nous et nous en Dieu).
- D'une religion centrée sur le concept de chute/rédemption à une spiritualité de la création centrée sur l'idée d'une grâce originelle.
- De l'ascétique à l'esthétique. »
Tout cela étant longuement développé (et étayé par des citations précises) Mattew Fox se lance dans des suggestions de réformes ainsi que dans l'apologie de la créativité… N'oublions pas qu'il insiste à plusieurs reprises sur les effets néfastes de la prédominance du cerveau gauche… Il faudrait donc instaurer (ou réinstaurer) des rites de passage, des actions de grâce diverses et variées, des confessions des péchés de l'Église dans l'histoire, des lamentations sur la Terre-Mère (il admire énormément les Amérindiens). Il propose même que tout au long de l'année liturgique, soit « célébré le mystère du corps humain, que Jésus et Paul qualifient de Temple. (…) Chaque dimanche pourrait être consacré à un organe particulier : on aurait le dimanche du foie, la semaine suivante le dimanche de la rate, puis le dimanche du cerveau, le dimanche du pancréas, etc… Des poètes, des danseurs et toutes sortes d'artistes ou de savants viendraient susciter en nous un sentiment de révérence, d'émerveillement, de stupéfaction pour l'organe célébré et pour son rôle dans le fonctionnement normal de notre corps ». Coll. « Paroles Vives ».
—Carnets du Yoga, (174), Décembre 1995